Festival Salam : "Le cinéma palestinien est capable d’autodérision"

Rencontre avec Hussam Hindi, chargé de cours à l’Université Rennes 2, ancien directeur des festivals Travelling de Rennes et du cinéma britannique de Dinard, à l’occasion de la deuxième édition de ces rencontres portées par une équipe étudiante.

La première édition du Festival Salam s’est déroulée l’année dernière : quel a été l’élément déclencheur pour que le projet voit le jour ?

Muriel Le Bloa, enseignante d’arabe à Rennes 2, m’a proposé de donner des conférences à ses étudiant·es sur le cinéma arabo-palestinien. J’ai sauté sur l’occasion parce que, depuis 35 ans, j’organisais des festivals sur le cinéma italien, espagnol, britannique, etc. mais jamais sur le cinéma de mon pays, la Palestine. J’ai beaucoup aimé travailler sur ce thème et nous avons finalement proposé aux étudiant·es d’organiser un événement. Et c’est parti ! Une quinzaine d’étudiantes ont pris les choses en main et ont organisé en 2023 la première édition du festival Salam, qui était très réussie. Cela m’a ramené 35 ans en arrière quand j’ai commencé, en tant qu’étudiant, à travailler sur Travelling. Pour moi, la boucle est bouclée, c’est un sacré cadeau.

Comment s’est décidée, dans le contexte actuel, la tenue d’une deuxième édition ?

Personnellement, j’avais des craintes. Après les événements tragiques du 7 octobre 2023, des rencontres programmées sur le cinéma palestinien ont été annulées. Je ne voulais donc pas embarquer toute l’équipe dans une édition qui risquait d’être chahutée. Mais pour les étudiantes, la question ne se posait pas. Ce sont elles qui m’ont embarqué dans cette deuxième aventure, avec toute leur énergie et leur enthousiasme. De toute façon, depuis le départ, nous sommes au clair sur le fait que Salam est un festival de cinéma avant d’être un festival politique. Notre objectif n’est pas d’être une tribune, mais de montrer la façon dont les Palestiniennes et Palestiniens font des films, quels sujets sont abordés, etc. Même si le cinéma est, bien évidemment, un lieu de discussion, d’ailleurs sans doute un des derniers espaces où la parole vit, et qu’on le veuille ou non, il est politique.

Comment s’est déroulé le travail avec les étudiant·es ?

Nous travaillons depuis fin octobre 2023 à la programmation et à l’organisation de l’événement, au rythme d’une réunion hebdomadaire, sur notre temps libre. Durant l’événement, il s’agit aussi de présenter des films, d’accueillir les invité·es et le public, etc. Nous avons une belle équipe avec des étudiantes très pro, et une belle entente. Cela me rappelle vraiment l’émulation de départ de Travelling, avec les discussions entre jeunes, les désaccords sur les choix de films… Cela me rajeunit [rires] ! J’apprends des choses à leur contact, notamment sur les réseaux sociaux, puisque j’étais habitué au support papier, d’ailleurs elles se moquent gentiment de moi parfois à ce sujet. Et elles m’ont dit apprendre beaucoup aussi de leur côté sur l’organisation d’un événement. Ce ne sont pas forcément toutes des cinéphiles ou des passionnées de ce cinéma-là, mais c’est une équipe vraiment décidée à mener à bien un projet personnel, pas seulement à suivre des cours en amphi. Un·e bon·ne étudiant·e, c’est un·e étudiant·e qui ne fait pas que des études. Un événement comme celui-là fabrique les citoyen·nes

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l'équipe du festival Salam
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Une partie de l’équipe du festival Salam avec, de gauche à droite, Hussam Hindi, Youna Brin, Victoire Ménival et Muriel Le Bloa. Crédit : Sébastien boyer / service communication de l’Université Rennes 2

Comment décririez-vous le cinéma palestinien ?

Le conflit israélo-palestinien est le plus médiatisé au monde, donc il existe de nombreux films sur la question. Mais le cinéma réalisé par des Palestiniennes et Palestiniens, sur lequel nous avons choisi de nous concentrer, c’est un tout petit cinéma. 4-5 longs-métrages de fiction et une trentaine de courts-métrages sont produits par an, ainsi que des documentaires. Ce ne sont pas des films militants, même s’ils sont politiques. Ils montrent des personnes qui s’aiment ou se détestent, qui souffrent ou s’amusent, qui naissent et qui meurent… Un peuple comme les autres en somme, qui a donc le droit d’exister.

De quelle manière le conflit est-il abordé ?

Il est abordé par l’aspect social, à travers la difficulté d’être palestinien·ne : de se marier, de voyager, de faire l’amour, de traverser des checkpoints… Mais jamais de manière frontale. Il n’y a ni coup de feu ni char quasiment. Souvent, c’est fait avec humour. La guerre est absurde - c’est un problème de voisinage, deux peuples comme des voisins qui se chamaillent alors que ce sont des cousins -, et l’absurde peut être drôle. Le peuple palestinien fait aussi preuve d’autodérision dans des films qui sont aussi critiques envers l’ennemi qu’envers son propre camp.

Dans leurs films, les nouvelles générations de réalisatrices et réalisateurs, né·es après la Guerre des six jours de 1967, reprochent à leurs parents d’être la génération de la défaite, qui a conduit la patrie à sa perte. Deux films programmés se terminent ainsi par des scènes de danse, comme pour revendiquer une nouvelle façon de militer, libérée du passé et d’une histoire douloureuse, de la religion aussi parfois, et qui regarde l'avenir avec optimisme.

Cette édition 2024 se penche plus particulièrement sur le cinéma palestinien à travers les femmes. Pourquoi ce choix ?

L’équipe étudiante a pris ce parti d’emblée, de mettre en avant ce regard féminin sur le monde. La guerre est une affaire d’hommes mais les femmes en sont les premières victimes. Et comme dans les cinémas d’autres pays, elles sont minoritaires à la réalisation et ont fait l’objet de personnages souvent stéréotypés. On retrouve la mère sacrificielle, une sainte à idolâtrer, symbole de la terre palestinienne, ou l’épouse, malmenée par un mari viril et bourru. Mais récemment, on voit des personnages féminins plus libérés, reprochant aux hommes leur lâcheté ou leur absence. Le festival va mettre à l’honneur ces points de vue différents avec, notamment, le film d’ouverture, Bye bye Tibériade, le récit de trois générations de femmes par la fille d’une famille, ou encore Dégradé, un huis-clos dans un salon de coiffure mêlant différentes générations de femmes, différents statuts sociaux, etc. Un film très drôle et très cruel aussi, dont le titre fait référence autant à la situation qu’à la coupe de cheveux.