Gaëlle Debeaux : “La littérature est un objet vivant !”

À l’occasion de la 13e édition du festival Transversales, qui se déroule du 21 au 25 novembre 2023, nous avons rencontré Gaëlle Debeaux, la pétillante enseignante-chercheuse qui porte le projet aux côtés des étudiant·es. Portrait.

Enfant, Gaëlle Debeaux avait un rêve : battre le record du nombre de poésies récitées dans sa classe de CM2. Même si elle a “fini par être détrônée”, il lui est resté une passion de la littérature et des langues. Finalement, elle ne sera pas danseuse étoile, mais “soit prof de français en Italie, soit d’italien en France”. Et s’engage tout de même dans un parcours brillant. C’est en hypokhâgne qu’elle a découvert avec joie sa discipline d’inscription, la littérature comparée, “l’espace parfait pour combiner tout ce [qu’elle aimait]”. Comme sous une bonne étoile, les réussites se sont ensuite enchaînées. Reçue à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon, elle s’est “prise au jeu de la thèse” et a vite décroché un contrat doctoral qu’elle a pu réaliser à l’Université Rennes 2.

Gaëlle Debeaux a quitté les montagnes pour la mer, heureuse de débarquer en Bretagne dont elle garde un souvenir ému de vacances à 10 ans, “à la grande époque de La vallée de Dana : la découverte de la crêpe beurre salée-sucre a été un moment important dans ma vie [rires]...” Elle rejoint surtout Emmanuel Bouju, aujourd’hui enseignant-chercheur à la Sorbonne Nouvelle, pour diriger son travail de thèse. “Ce qui m'intéressait, c’était d’explorer des romans qui pratiquent l'enchâssement narratif, comme dans le film Inception. J’avais l'impression qu’à partir de la période post-moderne, il y avait un regain d'intérêt pour cette forme de mise en récit existant depuis longtemps, qui venait déjouer les analyses traditionnelles. Je me demandais comment, face à des romans objectivement tout à fait chaotiques, est maintenu l’intérêt de la lectrice ou du lecteur. Et la petite particularité de mon corpus était d’intégrer, aux côtés d’œuvres classiques, des œuvres de littérature numérique, que l’on appelle des hypertextes de fiction.”

Avant d’avoir “l’énorme chance d’obtenir un poste de maîtresse de conférences à Rennes 2”, la jeune femme a fait un détour à Tours en tant qu’attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER). Deux années réjouissantes sur les jolis bords de Loire, “aussi une bonne façon de voir un autre fonctionnement universitaire, et de mieux comprendre la spécificité de Rennes 2”. Qu’est-ce donc, selon elle, qui rend l’établissement unique ? “Cette identité forte autour des sciences humaines et sociales, des arts, des lettres et des langues, cela compte beaucoup pour moi, répond sans hésiter Gaëlle Debeaux. Avec tous mes collègues, nous partageons des enjeux et des réalités communes. Et puis j’aime le fait que nous soyons une fac engagée de longue date à gauche, avec des valeurs auxquelles j’adhère. C’est très important de travailler dans un environnement professionnel avec lequel on se sent en adéquation.”

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Portrait de Gaëlle Debeaux
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Gaëlle Debeaux à la BU centrale, sur le campus Villejean. Crédit photo : Sébastien Boyer

En six ans, la jeune trentenaire a pris la mesure de “la troisième dimension du métier” : “En plus de l’enseignement et de la recherche, il y a toute la gestion administrative, notamment liée au fonctionnement d’un département, détaille-t-elle. Beaucoup de tâches quotidiennes qu’on ne maîtrise que moyennement, donc beaucoup de choses à apprendre au début.” Lors de sa première année, elle a suivi les formations pédagogiques proposées par l’établissement aux maîtresses et maîtres de conférence stagiaires : “C’était chouette d’avoir un espace pour discuter de nos pratiques pédagogiques et partager nos difficultés liées à la prise de fonctions.” Parmi ces dernières, elle a notamment buté sur la direction de mémoires. “Au delà de la charge de travail que cela représente, il faut savoir aider l’étudiant·e sans travailler à sa place, l’orienter tout en lui laissant la marge de manœuvre qui est la sienne… Ce n’est pas évident.”

L’adage selon lequel le temps ferait son œuvre s’est révélé vrai, et Gaëlle Debeaux a fait en 2023 sa 6e rentrée “en commençant à avoir l’impression d’être en maîtrise de [son] temps”. Enthousiasmée par “la diversité des missions”, elle s’est découvert un goût pour la “gestion de projets collectifs” : “J’adore organiser des projets, participer à des réunions, assure-t-elle en souriant. C’est très épanouissant de collaborer avec d’autres collègues. Certes, ça coûte un peu d’énergie, mais ça en apporte surtout beaucoup !” Co-responsable du master recherche mention Littérature générale et comparée, elle met son dynamisme au service de plusieurs collectifs et comités, en lien avec la recherche et/ou la culture. Intéressée par la littérature hors de l’objet livre, elle a notamment été co-directrice à la recherche pour l’École universitaire de recherche sur les Approches créatives de l’espace public (EUR CAPS), une expérience “inspirante” qui lui a “énormément appris”.

Celle qui “ne [s]’ennuie jamais” apprécie tout particulièrement le contact et le travail avec les étudiant·es, qui le lui rendent bien. Les Transversales en sont un parfait exemple. Gaëlle Debeaux s’est impliquée dans le festival en 2017, avant même sa prise de poste à Rennes 2, attirée par la thématique sportive de l’édition - elle est elle-même adepte de natation et de course “à [sa] toute petite mesure”. La particularité de cet événement, en très grande partie porté par des étudiant·es (via l’association FTR2), depuis la proposition du thème jusqu’à la réalisation, est d’être “à la fois un projet pédagogique et une vraie proposition culturelle sur le campus et au-delà”. “C’est une expérience stressante, parce qu’il y a tout un aspect logistique et matériel à maîtriser, mais vraiment super, explique-t-elle. J’aime considérer la littérature comme un objet vivant, que l’on peut faire vivre, et Rennes est d’ailleurs une ville très accueillante à ce titre. Les Transversales s’inscrivent dans cette idée.” En témoigne la liste des très nombreux partenaires locaux.

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Thaïs Levard et Lucie Garnier (les deux co-directrices de l'association FTR2
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Thaïs Levard et Lucie Garnier, les deux co-directrices de l'association FTR2 qui organise le festival Transversales. 

Du 21 au 25 novembre, l’édition 2023 rapproche deux thèmes, proposés par Thaïs Levard et Lucie Garnier (les deux co-directrices de l'association FTR2), le rêve et l’enfance, “car nous n’avons pas réussi à trancher”, plaisante Gaëlle Debeaux. Durant une semaine, différents événements permettent donc “d’explorer la façon dont la littérature et les arts s’emparent du rêve en favorisant le point de vue de l’enfant, une manière d’ouvrir large les portes de l’imaginaire et de se permettre un tas d’inventions, mais aussi de se demander à quoi on rêve quand on est enfant, et quel regard on porte dessus lorsqu’on est adulte”. Ainsi, le 21 novembre, la table ronde “La forge des rêves” réunissant l’autrice Carina Rozenfeld et le duo de bédéastes Goum et David Boriau, met à l’honneur la littérature et la bande dessinée jeunesse avec une attention portée à des œuvres dans lesquelles des personnages fabriquent les rêves. Le service culturel de l’Université Rennes 2 co-organise aussi le 23 novembre Wonderland : Alice au cinéma, un étonnant ciné-concert de Wilfried Thierry d’après une adaptation cinématographique datant de 1915, suivi d’une table ronde. Le reste du programme est tout aussi onirique.

Lors du travail sur le festival, Gaëlle Debeaux et les étudiant·es impliqué·es ont observé que “quand on interroge les enfants sur leurs rêves, on leur pose souvent la question du métier qu'ils ou elles souhaitent faire. C'est étonnant, que ce soit le rêve le plus important, ou celui dont on se souvient le plus…” Elle n’est pas devenue danseuse étoile, ni prof de français en Italie ni d’italien en France - pour le moment. Mais à 35 ans, elle a réalisé quelques souhaits. “Je pense en tout cas que la petite fille que j’étais serait contente de voir où je suis, oui. Et surtout que je vis en Bretagne [rires] !”

Titre de l'encadré
Recommandations de lectures
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G.D. “En ce moment, j’ai une petite marotte avec les romans sur la forêt - c’est peut-être un nouvel objet de recherche que je voudrais développer. Je conseille donc :

  • Et toujours Les forêts, de Sandrine Collette : un récit post-apocalyptique où l’on suit quelques personnes survivantes qui se réinventent dans cet espace de la forêt qui est à la fois lieu de subsistance et de menace ;
  • Tabor, de Phœbe Hadjimarkos Clarke : là encore, une sorte de roman de l’effondrement. Le récit est centré sur des militant·es pour le climat qui trouvent refuge dans un hameau abandonné dans la montagne, et l’on suit à travers un récit-chorale cette reconstruction d’une communauté avec des valeurs éco-féministes, mais le ver est dans la pomme…”