Service Culturel

Le corps mis à nu avec Marie Granger

Lors de cette rentrée, le service culturel est heureux de vous présenter De chair et de frissons, une exposition de Marie Granger, étudiante en Licence 3 Arts plastiques à l’université. À fleur de peau, ses dessins vous invitent à plonger dans un dédale de corps “qui se rencontrent, se connaissent déjà, ou s’apprennent encore”. Des œuvres d’une grande sensibilité, à découvrir sur La Mezzanine du Tambour (Bâtiment O) jusqu’au 29 octobre.

Marie Granger

De chair et de frissons… À travers cette exposition, vous donnez le corps à voir, de très près, pour y observer « [...] constellations cellulaires, mosaïques métissées, incarnations en devenir ». Pourquoi cette envie de parcourir le corps « à sa surface » ?

Marie Granger Parce que le corps ne ment pas. Et ce qui émane à sa surface offre un itinéraire sans filtre. La surface d’un corps, c’est la peau, l’enveloppe frissonnante, l’intime dans toute sa vulnérabilité. La représenter c’est l’interpréter pour ne pas trahir ce parchemin gravé de secrets. La surface, c’est parfois l’armure, sous laquelle tout demeure hurlant. À découvert ou à demi-nue, elle se dévoile sans maîtriser ce qu’elle révèle. En la dessinant, je l’apprends, la préserve et essaye d’en offrir humblement le charme. Aussi, un dessin, une peinture, un travail quel qu’il soit, a nécessairement besoin d’un spectateur pour naître en œuvre. J’aime ce parallèle entre une œuvre et la surface d’un corps : éternels soumis aux regards intransigeants, fascinés, et multiples.

Parce qu’il faut aller au-delà de l’apparence, en passant par elle. Oui, la beauté peut s’épanouir dans ce qu’elle a de plus « superficiel », (au sens de ce qui n’appartient qu’à la surface) mais seulement, une fois détachée de tous critères établis. La beauté véritable est libre et ne saurait répondre à aucun dogme. Elle est partout et incontestable dans sa subjectivité. En parcourant le corps à sa surface, il s’agit de montrer qu’un seul regard suffit. Pas celui de l’autre, mais celui qui nous appartient. La beauté est une vérité dont nous sommes seuls maîtres. Si parfois elle est moins évidente, c’est que la vue s’attarde. À nos sens de prendre le relais. Je vous conseille de fermer les yeux après avoir capturé en mémoire une image : l’impression, et les ressentis qui en restent, est ce qui se cache en-deçà de la surface ; une beauté bien précieuse.

Des lectures, des œuvres, des artistes (...) ont-iels nourri votre réflexion autour de cette thématique ?

M. G. Une rencontre d’abord, celle avec Egon Schiele. Son œuvre est une dévotion au corps. Il en a retracé les contours, dans ce qu’il a de nerveux, de vivant. Aussi, ses créations renferment un moment éternellement présent. Loin de lui, la crainte de se lasser. Il a su que chaque corps est un sujet à part entière, tous semblant confirmer et renouveler sa pratique picturale. Loin de nous, et pourtant si près d’une réalité qui nous unit tous ; le corps est un véhicule bien matériel, pourtant insaisissable en ce qu’il recèle de sens, d’états, d’intimes mystères.

Une expérience ensuite. Les cours de modèle vivant que j’ai eu la chance de suivre m’ont confrontée à ce qu’est un corps : en tant que forme, espace et couleurs. C’est une matérialité interactive, en osmose avec son environnement. Alors que j’observais les courbes du modèle, défiant ombres et lumières, je la trouvais toujours plus belle. Apprendre un corps en le représentant, c’est une véritable chasse au trésor de beauté qu’il renferme.

Enfin, les réseaux sociaux recèlent de travaux inspirants, ceux de photographes exemplaires, de modèles photos délibérément libres. Autrement dit, des artistes cachés d’aujourd’hui, dont le regard sait précisément saisir ce qui a le plus d’écho. Les dessins présents sont le miroir d’une image qu’un jour j’ai rencontré. Je me sentais redevable de leur apporter une dimension supplémentaire, parce qu’il n’y a jamais trop de collaboration.

Que des corps, crayons de couleurs et acrylique, 2021.
Légende

Que des corps, crayons de couleurs et acrylique, 2021.

Comment est née cette exposition à l’université ? Que souhaitez-vous raconter à travers elle ?

M. G. L’année passée, ayant participé au concours « Esquissez » organisé par le service culturel de Rennes 2, j’ai pu faire la rencontre de Morwenna German en charge de l’action culturelle. Le dessin que j’ai réalisé sous la thématique « Ici et maintenant » est devenu, sans le vouloir, une passerelle vers ce projet d’exposition. En le voyant, Morwenna m’a spontanément présenté la mezzanine du Bâtiment O. Cette opportunité et la confiance qui m’ont été accordées m'ont permis d’élaborer ma première exposition et d’explorer encore davantage un sujet qui me suit depuis quelques années déjà. C’est une liberté et un aboutissement dont j’espère être à la hauteur.

Au fond, on pourrait n’y voir que des couleurs, dévorant l’espace les unes des autres, ou des formes qui circulent, s’enroulent et se détachent. Ce sont aussi des ombres et des lumières qui se contredisent ou se complètent. Chacun adopte le regard qu’il souhaite y poser, car personne n’aura tort. De mon côté, j’y vois un pas vers une réconciliation. Cela implique un compromis, une entente entre espaces. Naturellement, nous avons tendance à mener une guerre sans gloire possible contre ce que nous incarnons. Alors ici, pas de différences qui séparent. Seulement des complémentarités qui dialoguent et se font entendre parce que nécessaires. Chaque représentation peut agir en miroir, si on se laisse toucher par l’une de leurs vérités. De cette manière, on pourra trouver la sienne, la seule qui compte véritablement. Rien ne raconte mieux, qu’une véritable connexion.

Parlons de votre processus créatif : Avez-vous des routines, un rituel ? Que privilégiez-vous lorsque vous commencez un dessin (le style, l’intention, la technique, les émotions…) ?

M. G. Je peins ou dessine comme j’écris. Je construis une armature, comme une base, que je viens préciser puis mettre en lumière là où cela me semble nécessaire. Le choix des couleurs dans ma pratique est assez déterminant. Non pas qu’elles soient forcément l’élément le plus frappant dans mes travaux, mais justement parce qu’elles resserrent davantage et discrètement les liens entre espaces (que ce soient corps ou environnements). Toutes les images que j’emprunte comme modèles sont en noir et blanc. J’aime leur attribuer de nouvelles couleurs, une autre histoire. Une fois ce choix accompli, je me lance sans appréhension, bien que n’ayant pas idée du résultat. Effectivement, comme l’auteur d’un roman qui peut se laisser submerger par ses personnages, les modèles dont je m’inspire, je ne les connais pas. J’apprends à les connaître d’abord en les observant, puis en les représentant. Il m’arrive de m’en détacher parce que mon but n’est pas de reproduire, mais bien de créer à partir d’un existant. Il ne s’agit pas pour autant de trahir ce qui a été, un jour, un instant, mais plutôt de rester fidèle à ce que j’en apprends pour en raconter une nouvelle version.

Comment se répondent votre pratique du dessin et votre pratique artistique dans le cadre de votre licence ? Sont-elles intimement liées ?

M. G. La licence 2 a été un tournant dans ma pratique tant personnelle qu’universitaire, car elles sont enfin parvenues à dialoguer. Durant la première année, je n’ai pas su saisir la liberté dont nous disposons au sein des ateliers. Grâce à ces derniers et aux enseignants qui les organisaient, j’ai pu trouver d’autres possibles et me découvrir davantage en tant que future artiste. Mais ce ne sont pas uniquement les ateliers qui ont nourri ma pratique du dessin. Toute la partie théorique a effectivement influencé ma façon d’aborder un espace pictural. Finalement, la pratique artistique universitaire est un moteur pour ma pratique plus personnelle, parce qu’elle me permet d’aller chercher d’autres regards.

Des projets dessinés/artistiques à venir ?

M. G. Je dois admettre que j’avance pas à pas, sans savoir ce qui est à venir. Ce projet est le premier d’une longue série je l’espère. Pour sûr, je pourrais poursuivre des projets personnels au sein de mes ateliers qui m’offrent notamment un espace considérable pour adopter de plus grands formats. Enfin, j’ai pour souhait de déployer ma pratique au sein d’une collaboration pour trouver une richesse inaccessible en créant seule.

 

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