Alice Pallot © Laetitia Bica
Artiste engagée, les photographies d’Alice Pallot gravitent principalement autour de la fragilité et de la résilience du monde naturel. Avec Algues maudites, a sea of tears elle s'intéresse à un sujet d’actualité : les algues vertes. Initiée lors de la Résidence 1+2, sa série est issue d’une collaboration avec plusieurs structures associatives et scientifiques.
Elle sera présente mardi 14 novembre à 13h pour une rencontre autour de son exposition puis le soir à l'issue du BD-concert Algues Vertes pour une table ronde aux côtés d'Inès Léraud et François Joncour. Rencontre.
La série Algues maudites, a sea of tears a été créée en deux temps : vous avez d’abord collaboré avec l’association Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre en Bretagne puis avec le CNRS Occitanie Ouest à Toulouse. Pouvez-vous revenir sur ces différentes phases de travail ?
Alice Pallot. Algues maudites, a sea of tears a été initiée dans le cadre de la Résidence 1+2 en collaboration avec le Centre Wallonie-Bruxelles et le soutien de Wallonie-Bruxelles International (WBI). Elle a été réalisée en deux phases de mai à juillet 2022 :
La première partie des recherches se déroule en Bretagne (Côtes-d'Armor), où je rencontre Yves-Marie Le Lay de l’association écologiste Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre. Ensemble, nous parcourons le terrain pour prélever des échantillons de sable contenant du jus noir putréfié issu de la décomposition des algues qui seront plus tard observés au microscope par le CNRS de Toulouse. Avec son équipe, il effectue des inventaires des espèces impactées par la décomposition des algues. Selon l’écologiste, les marées nettoient en surface mais les plages deviennent « stériles », il n'y a plus de coquillages, la biodiversité a disparue. Yves Marie Le Lay met l'accent sur la prise de conscience et souhaite alerter les pouvoirs publics et la population. L’enjeu était pour moi de traduire ses études, rapports, connaissances et métaphores par mon propre langage photographique. Parmi les métaphores visuelles on peut citer : « derrière le vert, il y a le noir », « Les marées noires sont les nouvelles marées vertes… », la plage « stérile ». Mon travail documente de manière sensible l’impact des algues vertes sur l’environnement et la biodiversité. Empreintes d’un imaginaire science-fictionnel, mes photographies intriguent et dévoilent des problématiques invisibilisées.
La deuxième partie du projet se déploie à Toulouse, dans le laboratoire Ecologie Fonctionnelle et Environnement, avec la scientifique Joséphine Leflaive au CNRS. Je mets en culture des microalgues cyanobactéries sur des tirages photographiques tels que des images d’archives des côtes envahies par les algues ou encore d’animaux morts asphyxiés par le gaz H2S. Je prolonge alors l’action de la toxicité de ces organismes qui entament même la matière photographique.
Parallèlement, avec Frédéric Azémar - scientifique au CNRS Occitanie Ouest, nous créons un aquarium artificiel saturé par une prolifération d’algues reproduisant le phénomène d’eutrophisation des marées vertes, afin d’observer le changement d’un écosystème oxique (formes de vies dépendantes de l'oxygène) vers un écosystème anoxique (n’ayant pas besoin d’oxygène pour vivre) à travers le processus de décomposition des algues.
Dans le film Anoxie Verte, je capture cet univers d’hybridation et de mutation. Le film révèle la manière dont un écosystème s'éteint pour laisser place à un nouvel écosystème que l’on ne soupçonne pas. Ce film immersif ouvre une fenêtre captivante sur la diversité biologique : des organismes qui vivent sans oxygène. Même si ils sont évidemment très peu nombreux.
Plage stérile, Algues maudites, a sea of tears © Alice Pallot, 2022
La collaboration entre un·e photographe et des chercheur·ses dans le cadre de la Résidence 1+2 permet d’apporter un regard neuf sur des sujets scientifiques. Aviez-vous déjà travaillé de cette façon ? Quel regard portez-vous sur l’association des disciplines ?
A. P. Le projet Algues Maudites, a sea of tears s'inscrit dans mes recherches antérieures évoquant la fragilité mais aussi la résilience du monde naturel, que j’explore dans la série Suillus, looking at the sun with closed eyelids (2020). La série Oasis (2019) dévoile l’ambiguïté de l’industrie du marché floral entre la beauté, la charge symbolique et émotionnelle qu’elle représente mais aussi les déchets et la pollution qu’elle génère. En réalisant la série Oasis, j’avais eu la chance de travailler avec un duo de botanistes.
La Résidence 1+2 m’a permis de travailler pour la première fois avec des scientifiques sur le long terme, même si la recherche scientifique est ancrée dans ma pratique depuis quelques années. L’association scientifiques/artistes est pour moi une manière de rendre visible et compréhensible des articles et études qui sont parfois impénétrables en raison de leur langage difficilement accessible. À travers la série Algues maudites, a sea of tears, je rends perceptible ces recherches par un imaginaire qui m’est propre. Je me réapproprie les codes de la matière scientifique et je l’ai traduit par mon propre langage photographique dans le but de raconter ce que je vois, vis et comprends au plus grand nombre de manière sensible, engagée et narrative.
Vous avez choisi de traiter les algues toxiques et notamment leur impact sur la biodiversité et ses écosystèmes. Comment avez-vous eu connaissance de cette problématique ? Pourquoi s’être emparée de ce sujet ?
A. P. En novembre 2020, je suis retombée sur une vieille boite de comprimés de spiruline. Mon oncle qui travaillait dans une entreprise de production de spiruline en envoyait régulièrement à ma famille. J’en ai donc mangé toute mon enfance, mais je n’aimais pas trop cela. En retombant sur cette boite, j’ai eu envie d’en savoir plus. J'en parle à une amie artiste, Marguerite Barroux, elle a aussi envie d’en savoir plus sur ces micro algues qui sont des boucliers naturels contre l’oxydation.
Elle me propose d’aller aider en tant que bénévole dans une ferme de culture d’algues en Bretagne pour apprendre à cultiver la spiruline. Je lis que la spiruline est une cyanobactérie qui se développe extrêmement rapidement, qu’il s’agit d’une des formes de vie les plus anciennes sur terre et je tombe sur un article qui parle de la prolifération des algues vertes, de sa toxicité due à l’agriculture intensive. Étant passionnée par les phénomènes naturels et les réalités cachées, j’ai envie d’en savoir plus. Je me procure la BD d'Ines Léraud et Pierre Van Hove ; Algues vertes, l’histoire interdite. Je découvre une enquête révoltante sur la prolifération des algues vertes en Bretagne. Il n’y a pas beaucoup de documentation ou de témoignage photographique sur ce sujet, je décide d’aller voir sur place ce qu’il s’y passe. Je fais la rencontre d'Yves-Marie Le Lay qui m’en dit beaucoup plus, notamment sur l’effondrement de la biodiversité, et c’est parti !
Par le biais de votre travail de photographie documentaire sensible, vous souhaitez mettre en lumière des réalités cachées et invisibles. Pouvez-vous nous en dire plus ?
A. P. Pour ce projet je parlerais plutôt de documentaire d’anticipation, j’intègre la notion d'anticipation au médium photographique en capturant un phénomène naturel : la réalité des milieux anoxiques, dans lesquels nous ne pourrions pas survivre en tant qu’êtres humains et en les imprégnant d'un imaginaire science-fictionnel. En effet, je capte l’invisible en faisant pousser des algues sur des tirages, en matérialisant une toxicité qui n’est pas visible à l’œil nu et en mettant en lumière un sujet qui connait une omerta. En jouant sur les éléments d'incertitude qui accompagnent l'anticipation d’un futur proche, je donne les clefs de lecture au/à la spectateur·ice pour s’investir du questionnement essentiel de la préservation des écosystèmes face à son exploitation et au déclin imminent de la biodiversité.
Mission vérité terrain, Algues maudites, a sea of tears © Alice Pallot, 2022
Les lumières et les couleurs inhabituelles de vos photographies créent un univers singulier voire dystopique dans lequel réalité et fiction se confondent. La science-fiction est-elle un genre qui influence votre pratique ?
A. P. Les couleurs étranges que vous percevez dans mes images sont réalisées avec des déchets présents sur les lieux que j’investis, que je ramasse et que j’utilise comme filtre photographique. Étant donné que je n’invente pas la matière que je photographie, même si elle peut paraitre fictionnelle, je considère que mes photographies sont toujours ancrées dans un documentaire, sensible ou d’anticipation. Je laisse libre cours au/à la regardeur·ice de savoir si il s’agit ou non d’une dystopie, je pense que l’on peut également voir un échappatoire plein d’espoir face au monde de demain à travers la série Algues Maudites mais en effet également un monde plus noir où la fin est proche. La science fiction influence beaucoup ma pratique, par ses récits d’anticipations, souvent criant de vérité et une esthétique souvent futuriste.
Verdoyons ! 4e édition
Organisé par l’Université Rennes 2 tous les deux ans, ce cycle d’événements est consacré à notre rapport à la nature, à l’écologie et au développement durable. À travers une série d’ateliers, de rencontres, d’expositions et de spectacles, il nous invite à réfléchir aux enjeux environnementaux et à créer ensemble un futur durable et désirable !
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