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Quelle place pour le monde rural dans la littérature ?

Professeure de littérature française des XXe et XXIe siècles à Rennes 2 et membre du CELLAM*, Dominique Vaugeois nous présente le deuxième volet du colloque « Littérature et ruralité », qui se déroulera sur le campus Villejean les 13 et 14 octobre 2022.

Portrait de Dominique Vaugeois
Légende

Dominique Vaugeois.

*Centre d'études des langues et littératures anciennes et modernes

Un premier colloque s’est tenu à l’université de Pau et des Pays de l’Adour au printemps pour explorer les mots et motifs de la ruralité. Quel est l’objet de ce deuxième colloque ?

Le premier colloque, co-organisé avec Cécile Rochelois de l’université de Pau, portait en effet sur des questions de vocabulaire. Le colloque rennais va davantage concerner des questions de points de vue : qui écrit sur la campagne ? Pourquoi ? Dans quel cadre, dans quelles perspectives ? La réponse sera différente selon les époques. En France, au XXe siècle, l’écriture de la terre a un lien très fort avec le récit d’enfance – toutes les générations ayant accédé à une reconnaissance littéraire ont des racines paysannes. Dans notre pays, le roman du terroir a aussi souvent été associé à une pensée réactionnaire teintée de pétainisme, en relation avec l’appel à un retour aux valeurs rurales. Mais aujourd’hui, ce sont les enjeux environnementaux et l’approche écopoétique des œuvres qui remotivent la lecture et la production de la littérature sur le monde rural. Nous avons d’ailleurs choisi, dans le titre du colloque, d’associer la littérature à la « ruralité », un terme savant dont l’usage relève surtout de la sociologie, de la géographie et de l’anthropologie, afin de montrer les ponts qu’un tel sujet peut jeter entre les disciplines des sciences humaines. Des géographes, tel que Jean-Louis Tissier, de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, interviendront d’ailleurs durant ces deux journées. Nous avons également la chance d’accueillir des chercheur·e·s de renom, et notamment des collègues venu·e·s de l’étranger, des universités d’Oxford, de Lausanne, de Bâle, de Neuchâtel et de Genève.

À quelles préoccupations contemporaines fait écho la question de la représentation de la ruralité ?

Nous pensons immédiatement à l’écologie, je l’ai dit, ce qui pourrait être paradoxal puisque l’apparition de l’agriculture coïncide avec l’exploitation par l’homme de la nature. En France, notre lien à la nature est essentiellement un lien à la campagne, à la différence des États-Unis où les espaces sauvages sont plus importants. Les préoccupations environnementales actuelles, en nous permettant de repenser le lien avec le vivant, nous conduisent à relire différemment des écrivains et écrivaines du XIXe et à les replacer dans l’actualité. Par exemple, nous pouvons relire de façon plus fine un écrivain comme Francis Jammes, poète catholique béarnais, associé à la célébration religieuse de la terre. Or son recueil le plus connu, De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir ne renvoie pas seulement à la prière, mais aussi à la temporalité paysanne de l’époque, à une façon de mesurer le temps lorsqu’on n’a pas d’horloge. Il permet d’observer la représentation d’un mode de vie, d’une culture désormais éloignée de la nôtre, où l’expérience sensorielle, ici le son des cloches dans les campagnes, étudié par l’historien des sensibilités Alain Corbin, raconte un rapport à l’environnement que l’on peut observer dans la littérature.

La question de la représentation de la ruralité s’inscrit aussi dans le tournant géographique de la littérature (et des études sur la littérature) qui s’est produit dans les années 1990. La question de l’espace dans les œuvres est devenue centrale. Le développement de l’étude des comportements animaux, l’éthologie, nous offre également la possibilité de relire différemment des auteurs et autrices laissés de côté alors que leurs écrits étaient très novateurs. Jules Renard, à la fin du XIXe siècle, se moque du pittoresque convenu des descriptions de la nature, il a proposé des métaphores nouvelles, comme celle des « champs de blé rasés de frais, avec ces taches verdâtres qui rappellent le bleu de la joue des acteurs »…

Le colloque sera aussi l’occasion de faire dialoguer les siècles : du Moyen Âge au contemporain.

L’un des temps forts de ce colloque sera la rencontre avec l’autrice Marie-Hélène Lafon. Pourquoi l’avoir invitée ?

Elle est aujourd’hui une autrice renommée parmi les écrivains dont l’œuvre concerne principalement le monde des campagnes. Elle s’intéresse à ce que Jean-Loup Trassard, dont les livres sont à l’origine de mon intérêt pour ces questions, appelle « la fin de la civilisation rurale ». Dans Les derniers Indiens, elle raconte la vie d’un frère et d’une sœur retraités, qui ont habité cet ancien monde, et dont les voisins et voisines appartiennent au nouveau, c’est-à-dire qu’ils vivent à la campagne mais leur rapport à la terre a radicalement changé.

Il y a beaucoup à écrire sur ce qu’est la campagne aujourd’hui et sur l’évolution de la ligne qui la sépare du monde urbain (voir le « périurbain », le « rurbain » etc.). Dans l’Antiquité, la campagne, rus en latin, existe dans sa distinction d’avec la ville, urbs, et la forêt. Et la littérature a exploité l’imaginaire lié à ces partages. Où commence et où s’arrête-t-elle désormais ? 

Colloque « Littérature et ruralité », les 13 et 14 octobre dans l’amphi B8 (bât. B, campus Villejean). Rencontre avec Marie-Hélène Lafon, le 13 octobre à 18h au Tambour (campus Villejean).
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