« Colette Cosnier voulait sortir les femmes de l’oubli »

Pour le premier Mardi de l’égalité de la saison 2022-2023, Patricia Godard ravive la mémoire de cette universitaire et écrivaine féministe, figure du matrimoine rennais, qui a été la première à enseigner le genre à Rennes 2.

Pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous avez fait la connaissance de Colette Cosnier ?

Je suis professeure des écoles et militante féministe. Avec ma camarade Lydie Porée, nous avons eu envie d’aller à la rencontre de la génération précédente et des luttes menées à Rennes, comme celle du droit à l’avortement dans les années 1970. Car tout ne s’est pas passé à Paris et les luttes locales sont aussi importantes à connaître. Nous avons ainsi écrit Les femmes s'en vont en lutte : histoire et mémoire du féminisme à Rennes, 1965-1985 (Éditions Goater, 2014). En 2012, nous avons créé une association, Histoire du féminisme à Rennes, permettant de soutenir ces travaux et de les élargir à d’autres périodes historiques. Dès le départ, les militantes que nous avons rencontrées nous ont parlé de Colette Cosnier comme d’une figure incontournable du féminisme rennais des années 1970-80. Mais lorsque nous l’avons contactée, elle nous a répondu n’avoir « rien fait », dans le sens où elle n’était pas impliquée dans des groupes militants et n’avait pas manifesté dans la rue. C’est plus tard, à l’occasion d’un article pour la revue Place publique, que je suis allée la rencontrer à son domicile pour un entretien. Ça a été un vrai coup de foudre et je confirme qu’elle était bel et bien une militante féministe ! [Rires] Elle a ensuite adhéré à l’association et suivi notre travail. Quand elle est décédée en 2016, la question de sa trace s’est posée. Nous avons organisé un premier hommage et je me suis dit qu’il fallait continuer à cultiver sa mémoire et à la faire connaitre, donc j’ai décidé d’entamer ces recherches sur son parcours et son œuvre. Colette Cosnier, un féminisme en toutes lettres (Éditions Goater, 2022) a été publié cette année après 5 ans de travail.

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Colette Cosnier derrière son bureau
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Colette Cosnier derrière son bureau.

Qui était Colette Cosnier ?

Colette Cosnier a été enseignante en littérature générale et comparée à l’Université Rennes 2 de 1973 à 1995. Femme de théâtre, elle était aussi écrivaine et historienne des femmes. C’était une forte personnalité, très féministe, très engagée dans tout ce qu’elle faisait, et curieuse de tout. C’était aussi une personne atypique dans le paysage universitaire. Issue d’un milieu modeste, elle n’avait ni agrégation ni doctorat. Elle a vécu à Paris où en parallèle de ses études elle était prof vacataire dans des lycées, critique de théâtre dans des revues puis elle est rentrée à l’université « par la petite porte » après la loi de 1968 qui a ouvert les facs et démocratisé les études supérieures. À ce moment-là, il y a eu un renouveau des enseignantes et enseignants et des personnes comme elle, avec des profils différents, ont été recrutées. Colette Cosnier avait une forte envie de transmettre qui lui venait, je crois, de son milieu : elle se sentait redevable de tout ce qu’elle avait pu recevoir à l’école, et de la politique culturelle de l’après-guerre dont elle avait bénéficié, l’accès au théâtre, au cinéma, etc. Elle est donc entrée à Rennes 2, en tant que spécialiste de théâtre.

En quoi a-t-elle marqué l’histoire de l’université ?

Dès son arrivée en 1973, elle a mis en place, parallèlement à ses cours plus classiques, un programme de littérature féministe avec des sujets comme « L’autobiographie et les femmes » ou « Sexisme et éducation de Molière à Beauvoir » et des autrices telles que Virginia Woolf, Colette, Anaïs Nin, Georges Sand… Il existait à l’époque quelques rares cours universitaires qui commençaient à intégrer la notion de genre, comme celui de l’historienne Michelle Perrot. Mais en littérature, elle a été la première à le faire en France. Et elle n’a jamais renoncé à ce cours, ni au moment du backlash des années 1990 lorsque qu’être féministe était mal vu, ni face à l’indifférence voire au mépris de ses collègues – avec des réflexions telles que : « Il faudrait quand même faire cours sur de grands auteurs ! ». J’ai interrogé certaines de ses consœurs, par exemple une spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, qui m’a confirmé avoir été découragée de travailler sur les femmes car ce n’était pas « assez porteur ».    

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Patricia Godard sous la gravure représentant Colette Cosnier de Sophie Degano, dans la BU centrale (campus Villejean).
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Patricia Godard sous la gravure représentant Colette Cosnier de Sophie Degano, dans la BU centrale (campus Villejean).

Que pouvait-on apprendre dans ses cours de littérature féministe ?

Comme de nombreuses féministes des années 1970-80, elle a été très marquée par les Éditions Des femmes, qui vont rééditer des classiques d’écrivaines [citées plus haut], mais aussi des textes liés aux luttes pour le droit de disposer de son corps. Elle a donc fait connaître dans ses cours ces femmes de lettres qui ont développé l’idée qu’une parole liée au corps et à la sexualité est nécessaire à l’émancipation : Marie Cardinal, Benoîte Groult, Annie Leclerc, Emma Santos... Pendant ses années d’enseignement elle-même a aussi écrit, notamment un roman appelé Le chemin des salicornes(Albin Michel, 1981) qui est très empreint de ce courant littéraire appelé parfois « « écriture-femme », dans lequel une femme se réapproprie sa vie après une rupture.

Pour elle, enseigner et écrire forme un tout : souvent, ses cours nourrissaient son écriture. Elle a ainsi écrit trois biographies de femmes, féministes chacune à leur manière. La première portait sur Marie Bashkirtseff, une jeune peintre ukrainienne dont le journal intime avait été publié par sa famille après sa mort prématurée à 26 ans. En l’intégrant à son corpus, Colette Cosnier avait eu l’intuition que quelque chose clochait dans ses écrits ; elle a consulté le manuscrit original et découvert qu’il avait été censuré car son propos, celui d’une créatrice empêchée dans son art et révoltée, était très féministe pour son époque. Elle a décidé de comparer les deux versions et d’écrire Un portrait sans retouches, qui vient d’être réédité aux Presses universitaires de Rennes (PUR). Elle a ensuite écrit les biographies de la journaliste féministe Louise Bodin, et celle de Marie Pape-Carpantier, la pédagogue qui a inventé l’école maternelle.

En quoi ses méthodes d’enseignement étaient-elles originales ?

Par exemple, elle a mis en place des rendez-vous intergénérationnels, regroupant des femmes retraitées de l’université du troisième âge et des étudiantes, pour confronter leurs réflexions et leurs souvenirs sur l’éducation, la religion, le mariage, avec des textes étudiés en classe. Elle a également participé à des cours enregistrés pour l’enseignement à distance, des sortes d’émissions de radio très théâtralisées qui ont beaucoup marqué toutes les personnes que j’ai interrogées. Elle avait une voix radiophonique et adorait faire ça. Elle embauchait même son mari pour y lire des discours antiféministes ! [Rires] Malheureusement, ces enregistrements ont été perdu ; d’ailleurs si quelqu’un en retrouve dans ses archives, j’aimerais vraiment les entendre. 

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La gravure de Sophie Degano représentant Colette Cosnier, visible à la BU centrale (campus Villejean).
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La gravure de l'artiste bretonne Sophie Degano représentant Colette Cosnier a été réalisée spécialement pour Rennes 2 sur commande du service culturel et est exposée à la BU centrale (campus Villejean).

 

Colette Cosnier entretient un rapport privilégié avec la ville de Rennes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Partout où elle est, elle s’intéresse à l’histoire locale. Originaire de Sarthe, elle écrit en 1993, un roman qui met en scène ses grands-parents domestiques, Les gens de l’office ou sur Marie Pape-Carpantier qui est née comme elle à La Flèche). Quand elle arrive en Bretagne, elle publie en 1975 une pièce féministe, Marion du Faouët, la catin aux cheveux rouges, sur une bretonne cheffe de brigands, qui a réellement existé. Toujours dans l’idée de sortir les femmes de l’oubli, elle s’est intéressée avec Dominique Irvoas-Dantec à leurs vies ici dans Parcours de femmes à Rennes : celles des connues, des inconnues, celles du peuple. La question des noms de rues lui était chère et la ville de Rennes va d’ailleurs donner son nom à une allée dans le quartier Nord-Saint-Martin. Elle a également fait du théâtre amateur dans les années 1970-80, dans une troupe appelée le TRAC, qui travaille sur la mémoire de la ville, et notamment celle du peuple lors de moments forts comme le grand incendie de Rennes ou la Révolution française.

Dans les pas de Colette Cosnier, vous continuez de valoriser ses travaux et le matrimoine rennais. Pouvez-vous nous citer quelques prochains rendez-vous ?

La conférence du 27 septembre s’inscrit dans un parcours Colette Cosnier, dans le cadre des Journées du matrimoine et du patrimoine – nous sommes heureuses car cela fait des années que l’on se bat avec HF Bretagne pour que cette notion de matrimoine soit inscrite et c’est enfin le cas. Vous pouvez retrouver le programme sur le site de l’association. Et le 23 septembre, Histoire du féminisme à Rennes fête ses 10 ans ! Nous publions pour l’occasion un guide, Rennes au féminisme, qui regroupe 4 parcours autour desquels nous avons l’habitude d’organiser des déambulations. Nous y avons travaillé avec une étudiante du master 2 Métiers du livre, Laurine Royer, ainsi qu’une illustratrice, Julie Wojtczak, qui ont fait un super boulot. On y retrouve bien évidemment Colette Cosnier.