Pouvez-vous vous présenter ? Pouvez-vous nous parler de vos études et de votre parcours ?
Clément Pascaud. J'ai 35 ans et je suis metteur en scène. J'ai fondé en 2017 la compagnie Au Point du Soir, à Nantes. Serena est mon quatrième spectacle. Mon travail tourne principalement autour des écritures contemporaines, avec un intérêt particulier pour celles qui questionnent l'identité. J'ai fait des études de lettres à Nantes et Rennes 2, puis j'ai suivi un parcours d'assistant à la mise en scène. J'ai travaillé notamment avec des compagnies rennaises, comme celle de Frédéric Mingant ou de Mélanie Leray.
Portrait de Clément Pascaud © Gregg Bréhin
Quels sont vos sujets de prédilection ?
C.P. Dans mon travail, je privilégie l’écriture très contemporaine, c'est-à-dire que je n'ai quasiment mis en scène que des auteurs et autrices vivant·es, pour certains encore méconnus. Mais j'aime aussi travailler sur la question de l'identité. Depuis toujours, je la questionne dans tous mes spectacles, sous toutes ses formes : historique, politique, sociale ou même mythologique. Par exemple, dans Serena, il est question d'un adolescent qui joue au tennis, qui cherche son identité et qui s'identifie à Serena Williams. Mais j'ai aussi mis en scène Penthésilée, une réécriture du mythe par une autrice sicilienne, Lina Prosa, qui pourrait être considéré comme le premier personnage mythologique non genré.
Clément Pascaud sur scène pour « Serena » © Thomas Donadieu
Comment le tennis, et plus particulièrement la figure de Serena Williams, a-t-il influencé votre processus créatif en tant qu’artiste ?
C.P. Depuis l'âge de 12 ans, j'ai une passion pour Serena Williams. Je me rappelle ce 4 juin 2002 où, rentrant du collège, je l'ai vue pour la première fois à la télé. J'ai eu comme un syndrome de Stendhal. Dans mes premières années d'études théâtrales et mes premières années de création, j'ai travaillé sur de nombreux mythes antiques : Penthésilée, Phèdre ou Médée. À mon sens, Serena est un mythe au même titre que Phèdre ou Penthésilée. Je crois en un "théâtre des mythologies" mais je le souhaite pleinement relié en 2024. Les mythes, qu'ils soient très contemporains ou antiques, brisent les tabous, les préjugés et les privilèges, sont une source d'inspiration inépuisable. Je me suis toujours passionné pour les grandes figures de femmes car en tant que jeune homosexuel, je me suis toujours senti proches de leurs combats. Dans Serena, c'est aussi la question de l'adolescence que nous soulevons : avec Marion Solange Malenfant, l'autrice du spectacle, nous avons vraiment cherché le juste équilibre entre l'histoire de jeune ado de campagne et la très grande histoire de Serena.
Serena Williams a souvent été jugée pour son corps, un thème qui revient également dans votre spectacle. Comment abordez-vous ce sujet sur scène, et en quoi vous identifiez-vous à cette problématique ?
C.P. Quand on me voit, on peut se dire que je suis très loin de Serena Williams, dans plein d'aspects, que ce soit l'aspect physique, de genre, géographique... Mais je me suis identifié à Serena à l'âge de 12-13 ans : elle n'était pas du tout dans les standards féminins, et j'ai moi-même une masculinité un peu décalée. J’ai fait mon coming-out à 15 ans, j'ai grandi à la campagne, je mesure 1m60... En tout cas, c'est sur ça que je joue dans le spectacle. On va dire que je prends la force qu'elle m'a donné dans les moments où, moi, en tant qu'adolescent, j'avais l'impression de ne pas en avoir. Parce qu'elle brise tous les plafonds de verre.
Je ne me prends pas pour Serena. Le spectacle raconte l’histoire d’un jeune adolescent gay qui se passionne pour Serena et qui la prend comme modèle. C’est aussi cela qui est beau : qu'un homme raconte qu'il a pour modèle une femme, alors que c'est souvent un homme qui prend pour modèle un autre homme. Des femmes peuvent avoir des modèles masculins, mais il est plus rare qu'une femme soit un modèle pour un homme.
Clément Pascaud pour "Serena" © Gregg Bréhin
Avez-vous, à l’instar de Serena Williams dans le monde du tennis, dû surmonter des stéréotypes ou des attentes au cours de votre adolescence ?
C.P. J'ai fait du tennis jeune, et le milieu des clubs de sport pouvait être assez homophobe. Il y a eu des évolutions, mais à l'époque, en 2007, on était presque 10 ans avant le mariage pour tous, donc on était encore loin de ces questions-là. Après, j'ai eu la chance de faire une spécialité théâtre dès la seconde, donc j'ai pu aussi quitter la campagne. Et là encore, j'étais dans un cadre où j'étais le seul garçon au milieu de 25 femmes. D'une certaine façon, je me suis toujours senti protégé par les femmes autour de moi, donc j'ai toujours eu de la chance de m'éloigner au maximum d'un univers un peu violent.
En lien avec votre spectacle, vous proposez aux étudiant·es de l’université un atelier de création de podcast sur le thème des « femmes inspirantes ». Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’idée du podcast comme format créatif pour cet atelier ? Pensez-vous que ce format offre l'opportunité d’explorer des récits personnels et des parcours de vie ?
C.P. À défaut de pouvoir montrer le spectacle pendant le confinement, le Théatre Universitaire de Nantes, auquel j’ai été associé pendant trois ans, m'a proposé de réaliser un podcast. J'ai tout de suite vu que ce format était un objet intéressant parce qu'il permettait de faire entendre la mise en scène par le son, par la voix, par un autre médium que le théâtre.
Ce qui m’a attiré dans l'idée de l’atelier podcast sur les femmes inspirantes, c’est qu’il permet de mobiliser rapidement un groupe, avec une phase d’écriture, d’enregistrement et de montage. Le podcast permet aussi de faire ses premiers pas dans l’art de la parole sans avoir à affronter directement la scène, ce qui peut être intimidant pour certaines personnes. Ce que j’aime bien aussi, c’est que l’atelier podcast est un très bon moyen de rencontrer le public. C'est chouette parce que j'ai pu rencontrer des personnes de toutes les catégories sociales, les disciplines, les professions, les âges, les expériences...
Le but de l'atelier, c’est que chacun·e puisse parler de son inspirante, et peut-être aussi se dévoiler. Quand on parle d'un modèle, quoi qu'on en dise, on dévoile une partie de soi. Je travaille avec des collégien·nes et des lycéen·nes et franchement, j'étais parfois très surpris des modèles qu'elles et ils prenaient. Il y avait bien sûr Aya Nakamura, mais j'ai aussi eu Georges Sand, Marie Curie... Je trouve que c'est aussi, comme dans Serena, un moyen de casser les préjugés et les stéréotypes.
Plongez dans les podcasts « Les Inspirantes » : 12 créations sonores autour de femmes inspirantes réalisées par des étudiant·es et des personnels de l'université lors d'un atelier dirigé par Clément Pascaud en octobre 2024.
"Serena" © Gregg Bréhin
Que souhaitez-vous que les étudiant·es retiennent de cet atelier, au-delà de l’aspect technique du podcast ? Quels messages espérez-vous leur transmettre à travers cette expérience créative ?
C.P. J’aimerais qu’elles et eux en retirent une certaine confiance en elles et eux, notamment dans leur capacité à s'exprimer à l’oral. Le podcast devient un objet personnel, que l’on peut réécouter quand on doute, avant un entretien par exemple. C'est aussi un objet de confiance en soi, d'une certaine façon. À travers l’exercice de parler d'une femme inspirante, chacun dévoile forcément une partie de soi, et c’est un moyen de prendre conscience de sa propre voix, de son écriture, et de sa capacité à s’exprimer.
Propos recueillis par Léa Montézin (Service culturel - Université Rennes 2) en octobre 2024.