Service Culturel

Tarot Trans, ou comment visibiliser des personnes marginalisées

En partenariat avec le festival Travelling, le service culturel est heureux d'accueillir les photographies de Zaida González Ríos à La Chambre claire (bât. P) jusqu'au 10 mars. « Je crois que l'art doit avoir pour intention de provoquer des questionnements sur le monde qui nous entoure ». Rencontre avec cette artiste chilienne militante qui nous parle des spécificités de sa série « Tarot Trans » qui donne à voir des corps habituellement cachés.

Photographie de la carte représentant le soleil
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El sol © Zaida González Ríos

Avec Tarot Trans, vous vous appropriez les vingt-deux arcanes majeurs de cet art divinatoire. Votre série donne à voir des corps habituellement cachés. Elle met en scène des personnes âgées, homosexuelles, transgenres, travesties, migrantes, handicapées… Comment est né ce projet photographique ?

Zaida González Ríos : Ce projet est né de la nécessité de rendre visibles les personnes victimes de discrimination et marginalisées dans la société, par le biais d'un élément populaire et reconnaissable tel que le tarot.

Il ne s'agit pas d'un appel à l'inclusion hégémonique hétéropatriarcale, mais de réfléchir au fait que nous avons notre propre espace et que nous avons besoin de respect, d'avoir un emploi, de pouvoir nous éduquer, de vivre dans la dignité.

Le tarot est un élément que tout le monde reconnaît, l'objectif est donc de toucher non seulement les personnes qui aiment l'art photographique, mais aussi celles qui appartiennent à d'autres groupes et espaces.

 

Votre travail est éminemment politique. Est-ce le fil rouge de votre art ?

Z.G.R. : Oui, j'ai toujours été intéressée par le discours politique et la remise en question des relations humaines. Il est important pour moi de dénoncer les agressions et la violence exercées par le pouvoir sur les groupes vulnérables.

Je crois que l'art doit avoir pour intention de provoquer des questionnements sur le monde qui nous entoure. Je pense que l'art sert de langage, qui n'est pas seulement contemplatif, beau et éphémère, à conserver dans un salon comme décoration.

Photographie représentant la force
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La fuerza © Zaida González Ríos

De ce fait, pensez-vous que la photographie puisse être une arme de lutte ?

Z.G.R. : Oui, chaque discipline artistique peut être une arme de lutte en offrant une éducation par la culture. La photographie, la peinture, la littérature, le cinéma, etc. permettent de sensibiliser le·a spectateur·ice aux problématiques sociétales.

 

C’est un monde coloré, étrange et poétique qui s’offre à nos yeux au sein de La Chambre claire. Pouvez-vous nous parler de votre esthétique ? Quelles sont vos inspirations ?

Z.G.R. : Lorsque j'ai débuté dans la photographie, il a toujours été clair pour moi que je voulais travailler avec des mises en scène et des modèles qui ne soient pas canoniques. Ils ne doivent pas présenter une beauté stéréotypée, comme le concept de la muse représentée par un homme blanc hétérosexuel dans les musées.

Ce qui me manquait, c'était la forme, j'ai expérimenté diverses techniques jusqu'à ce que, par hasard, j'en vienne à colorier les photos. Au début, j'ai remarqué que le résultat de cette technique avait une esthétique semblable à une carte sainte religieuse mélangée à des photographies érotiques du XIXe siècle. Puis j'ai pensé qu'elle était également proche de l'esthétique populaire latino‐américaine, ce qui lui a donné plus de sens. Cela me plaît de montrer une sorte d'autel domestique latin.

Photographie représentant la Papesse
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La papisa © Zaida González Ríos

Lors de votre venue à Rennes à l’occasion du vernissage de votre exposition, vous avez mené auprès des étudiant·es et des personnels de l’université un atelier de peinture sur photographie. Pouvez-vous nous parler de cette technique d’enluminure des images ? Pourquoi l'utiliser dans votre travail ?

Z.G.R. : Je suis arrivée à cette technique uniquement parce que je cherchais mon propre langage, personne ne me l'a enseignée, c'était une question d'essais et d'erreurs. Autrefois, cela se faisait avec des peintures à l'huile photographique, des portraits enluminés des proches de la famille. Aujourd'hui, ces matériaux ne sont plus disponibles, j'utilise donc la technique de l'aquarelle sur des photographies mattes.

J'ai donné cet atelier dans de nombreux endroits et à différents types de personnes (personnes âgées, photographes, personnes venant d'autres domaines, personnes sans expérience artistique, etc.). Les résultats sont toujours bons et les participant·es sont toujours heureux·ses. Cela peut-être une façon de redonner vie à de vieilles photos.

C'est l'étape que j'apprécie le plus, je donne d'autres couleurs à la photographie, car je n’apprécie pas les couleurs originales de la prise de vue.

Je pense qu'il s'agit d'une sorte de revendication de l'esthétique domestique de la classe inférieure et moyenne, typique de l'Amérique latine, qui peut être de mauvais goût pour certain·es, mais qui représente pour moi l'authenticité de ce territoire. C'est également pour ces raisons que je n'apprécie pas que mon travail soit considéré comme kitsch, cela m'offense et ignore mon intention.

 

Quel rapport avez-vous avec les personnes photographiées de la série Tarot Trans

Z.G.R. : Je travaille toujours avec des personnes avec lesquelles j'ai une relation d'affection et d'admiration. La plupart d'entre elles sont des militantes dans leur domaine, elles sont en charge des luttes contre des discriminations dont elles peuvent être elles-mêmes victimes. Je fais partie de ces groupes, je ne suis pas une outsider. Je pense que pour photographier des personnes dissidentes, il faut être inséré dans l’espace dont on parle. Je ne considère pas qu'il soit pertinent de le faire de l'extérieur parce que cela peut sembler « exotique ou excentrique ». Comme lorsque des photographes s'obstinent à transgresser la barrière de l'intime et veulent représenter de manière morbide le travesti en homme, puis en femme. Ce sont à mon avis des fétiches stéréotypés vides sans réflexion.

 

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un·e jeune photographe quant à son approche avec les personnes qu’il·elle photographie ?

Z.G.R. : Réfléchir à son intention et ne pas copier les styles à la mode dans la photographie, car ce sont des formules qui fonctionnent dans un temps limité, des images froides qui s'évaporent ensuite. S'ils ou elles veulent faire le portrait de certains groupes de personnes, il faut d'abord établir des liens d'empathie, d'affection et de confiance. 

Ne transgressez jamais les espaces et les intimités juste pour avoir une photo qui soit controversée. C'est un travail de longue haleine. Essayez patiemment, ne vous précipitez pas et ne vous frustrez pas, car les projets peuvent parfois prendre des années à se développer.

Photographie représentant el mago
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El mago © Zaida González Ríos

Avez-vous d'autres projets photographiques en cours ?

Z.G.R. : Oui, la semaine dernière, j'ai été informée que j'avais obtenu une subvention pour réaliser une nouvelle œuvre. 

Cette fois, après avoir réalisé le Tarot trans, et une autre série parallèle appelée Ni lágrimas Ni culpas, je vais réaliser un livre photo biographique qui parlera entre autre de ma relation avec ma mère qui est décédée en 2018, de ma relation avec la figure masculine, du trouble bipolaire qui m'a été diagnostiqué en 2019. À cette occasion, je travaillerai sur les genres photographiques du portrait, de l'autoportrait, du paysage, du nu, de la nature morte, du sauvetage d'archives, ainsi que sur la mise en scène.

 


Zaida González Ríos est représentée en France par le centre d'art et de photographie Negpos, situé à Nîmes.

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